Dictée gastronomique 2024
Saveurs & Savoirs
Épicez tout !
Cette injonction des plus piquante(s), je l’ai toujours respectée et lui ai sans nul remords obéi, afin de relever aussi bien mes petits plats insipides que ma courte vie torpide : ce faisant, j’eus parfois la main maladroite – moins en passion qu’en cuisson, néanmoins –, si bien que personne, à force, ne voulut plus mes mets...
[Fin juniors 1]
Ô tragique ironie ! Fondu(e) de la langue de Molière comme de la langue sauce madère, qui savoures les saveurs comme les savoirs, figure-toi qu’une farce, non pas fine, mais de mauvais goût*, m’a été jouée ; dudit goût*, non plus que du dégoût*, je n’ai plus les moindres stimuli : je souffre d’agueusie et, concomitamment, d’anosmie... Même les épices
corsées ne me provoquent plus aucune révolution de palais !
[Fin juniors 2]
Moi qui chérissais les aromates bio(s), humant leurs effluves subtils ou intenses et traquant les OGM*, que l’on eût souhaité être victimes de faux et usage(s) de faux (l’emploi desquelles, pour couper court, serait légitime), je ne suis plus dans mon assiette, privé(e) des saveurs qui s’étaient naguère approprié ma cavité buccale et mon appendice lingual.
Se résout-on jamais à avoir les papilles qui vrillent ? En tout cas, les miennes se sont écriées du bout de l’apex : « Las ! Nos chères hysopes ne sont pas top, les mélilots sont falots, les pili-pili* pâlis, les fenouils en quenouille, le curry a dépéri, le cari* se tarit, le fenugrec avec, et la cardamome, c’est tout comme ! Faut-il que nos girofles adorés ne vaillent plus un clou ?
Que* nous ne nous imprégnions plus des aulx noirs du Mont-Saint-Michel ? Que*, pétries de dédain, nous rejetions les cannelles honnies ? » Voilà que mes papilles, faute de goût*, ont du bagou(t) !
Quoi qu’il en soit, n’en faisons pas tout un plat (fût-ce des chop sueys ou des teriyakis salés comme jamais), car il est désormais inutile, je suppose, que je réclame la moindre flaveur...
* Variantes acceptées : gout – dégout – O.G.M. – pilipilis – cary, carry – que
Julien Soulié
Texte relu par Philippe Dessouliers (cordon-bleu de l’orthographe)